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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 09:15
Bereshit

Bereshit

Lundi en Israël, nous avons célébré la dernière fête du cycle des grandes solennités juives qui se caractérise aussi par la clôture de la lecture des 52 sections hebdomadaires de la Thora (le Pentateuque), qui s’achève par la lecture immédiate de la première section, Bereshit dans la Genèse. Le cycle est immuable. Le peuple juif ne cesse d’étudier sa Thora, d’en chercher et d’en extraire la substantifique moëlle, d’en tirer et de renouveler ses enseignements. Ainsi, de génération en génération, se fait la transmission, sans interruption.

L’année dernière à pareille époque, nous avions examiné un aspect de ce chapitre, sous l’angle de la pensée de l’un de mes Maîtres, le Rabbin Léon Ashkenazy, dit « Manitou » aux Eclaireurs et Eclaireuses israélites de France.

Pour nourrir la réflexion des lecteurs du Myosotis du Dauphiné-Savoie, au travers de la pensée juive et particulièrement celle de Manitou, voyons un autre aspect posé par ce texte fondateur – créateur – dont la portée se révèle jusqu’à aujourd’hui avec une acuité qui interpelle.

« Bereshit bara EloHiM… » « Au commencement (D-ieu créa)… »…

Rabbi Yitshak dit : Il n’était nécessaire de faire débuter (lehathil להתחיל) la Thora que par : « Cette néoménie sera pour vous le premier des mois… » (Exode XII, 2) qui est le premier commandement prescrit à Israël.

Pour quelle raison le texte commence-t-il (Patah) par Bereshit ? Ce qu’indique le verset c’est que c’est à cause de : « Il révèle la force de Ses actes à Son peuple, afin de lui donner l’héritage des nations » (Psaume CXI,6).

Si les nations du monde disent à Israël : « Vous êtes des brigands, puisque vous avez conquis les terres des sept peuples », Israël leur répondra : « Toute la terre appartient à D-ieu. Il l’a créée et l’a donnée à qui est droit à Ses yeux. De par Sa volonté, Il la leur a donnée, et de par Sa volonté, Il la leur a reprise et nous l’a donnée. » (Rashi sur Genèse I,1).

Ce texte de Rashi, qui ouvre son exégèse du livre de la Thora, a été abondamment commenté par les grands maîtres de la tradition rabbinique. Il a cependant fallu notre temps pour y déceler la profonde intuition prophétique qui anime les textes midrachiques où Rashi a trouvé les sources de son propos.

Tout se passe comme si ces Maîtres savaient qu’à chaque fin d’exil, Israël serait confronté à la même interpellation. Au temps de Josué, à la sortie d’Egypte, le problème cananéen ; de notre temps, à la sortie d’Europe, le problème « palestinien ». Dans les mêmes termes, et avec la même acuité. Prescience, sagesse ? Un grand Maître français de la Thorah, qui enseignait après la deuxième guerre mondiale, Jacob Gordin, de mémoire bénie, préférait dire « connaissance du sens de l’histoire », ce qu’il nommait à sa manière « historiosophie ».

Or, à première vue, on perçoit mal le lien logique entre la portée de la question – l’ensemble du texte, du début de la Genèse à Exode XII – et celle de la réponse, qui ne concerne que les mots essentiels du premier verset « Au commencement, D-ieu créa… ».

Mais en fait, la Thora que certains appellent la Bible et qui est un des Volumes de la Loi Sacrée, comme livre des commandements, débute bien au verset 2 du chapitre 12 de l’Exode.

Toutefois, ce premier commandement prescrit à Israël, réclamait une préface (petiha) historique indispensable. Elle est en effet introduite par le verset : « Et D-ieu s’adressa à Moïse et Aaron au pays d’Egypte, en ces termes ». (Exode XII, 1)

Il était évidemment nécessaire que la Thora révèle préalablement qui sont Moïse et Aaronet ce qu’ils faisaient au pays d’Egypte ; qui est le D-ieu des Hébreux (Exode VII, 16) qui s’adresse à eux pour transmettre à Israël la Thora et ses commandements ; et surtout, qui est Israël et la raison de sa présence en Egypte, alors que son pays est la terre des Hébreux (Genèse XL, 15) occupée en ce temps-là par les « sept peuples » de Canaan.

Cette préface historique aurait dû cependant commencer son récit à l’histoire du premier homme, très précisément au verset 4 du chapitre 2 de la Genèse.

Pourquoi faire débuter la Thora à la création ?

C’est donc que la question que pose Rashi ne porte en réalité que sur le texte de Maassé Bereshit, que l’on désigne habituellement en français par le « récit de la création ». C’est Nahmanide qui, dans son propre commentaire, élargit cette question à tout le récit historique de la Thora.

C’est toutefois une tout autre difficulté qu’il faut tenter de résoudre. Si les nations du monde reconnaissent l’autorité de la Bible puisqu’elles sont censées entendre l’argument d’Israël fondé sur le premier verset, n’était-il pas plus efficace de citer les références innombrables du récit de l’histoire des patriarches où D-ieu confirme que ce pays est bien le pays d’Israël ?

Pourquoi ce détour « théologique » pour traiter d’un problème historico-politique ? C’est qu’en réalité la contestation des nations ne porte pas du tout sur le fait que le Pays d’Israël est bien le pays d’Israël. Le monde entier sait, surtout depuis qu’il lit la Bible, qu’il n’y a aucun doute à ce sujet.

Leur contestation porte sur la manière dont Israël retrouve son pays à la fin de l’exil : « Vous êtes des brigands, puisque vous avez conquis la terre des sept peuples. »

Les ennemis d’Israël, surtout ceux qui lisent la Bible, accepteraient à la rigueur que les juifs retrouvent leur pays par une opération « magique » de la Providence. C’est d’ailleurs dans l’ordre de leur mentalité théologique, pour laquelle ce que D-ieu donne doit être reçu en « grâce d’héritage », sans doute à la disparition de celui dont on hérite…

C’est pourquoi il était nécessaire que le « récit de la création » introduise le texte de la Thora des commandements, préface historique comprise. En effet, dès la sortie d’Egypte, Israël reçoit la Thora qu’il doit appliquer et vivre sur la terre d’Israël. Il fallait s’attendre, dès l’abord, à la contestation des nations, qui vise simultanément le peuple d’Israël, sa Thora et sa terre. C’est donc le Maassé béréchit qui explique à qui est supposé reconnaître l’autorité de son texte, comment D-ieu donne la terre à qui Il la donne (Genèse I, 28) : « Et D-ieu les bénit ; et Il leur dit : « Croissez et multipliez ; emplissez la terre et conquérez-la ».

BERESHIT, AU COMMENCEMENT…

Ainsi, ces choses ne sont pas seulement anciennes, « depuis le commencement » ! Elles sont de vérité concrète, dans leur coïncidence frappante entre la Tradition et la réalité historique. C’est la leçon qu’André Néher* de mémoire bénie avait déjà tirée dans ce texte de Rashi :

« …en cela la Thora n’est plus seulement un code de lois au sens strict d’une juridiction révélée, mais une législation sous-tendue et motivée par une philosophie de l’histoire ».

Hébreux que la Thora a été donnée, dès le commencement. C’est en hébreu qu’elle est « donnée à être lue », dès les premiers mots… En cela, Rashi reste le plus grand maître du judaïsme.

Telle quelle, cette problématique de Rashi renvoie au sujet principal des préoccupations des théologiens juifs de tous les siècles, depuis la fin de l’époque de la révélation prophétique, au moment de la destruction du premier Temple, il y a près de deux mille six cents ans. La relation de D-ieu à l’homme passe-t-elle par l’impersonnel des lois de la nature – et en ce cas D-ieu serait défini comme le D-ieu des philosophes – ou bien, comme le dit le récit biblique, cette relation passe-t-elle par l’histoire humaine et, centralement, par l’histoire d’Israël ? En ce cas, il s’agit du D-ieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob…

Il n’était nécessaire de faire débuter la Thora que par le premier commandement prescrit à Israël, à la sortie d’Egypte. Pour quelle raison le texte commence-t-il au récit de la cosmogonie ? (Rashi sur Genèse I,1)

La question de Rashi situe bien notre problème : de quel D-ieu est-il parlé, dès le commencement ? De Celui que le texte nomme Eloquim, le Créateur du monde connu à travers l’impersonnel déterminisme de la nature, ou de Celui qui Se révèle sous Son Nom de Providence à travers l’histoire des hommes : Hashem, sous Sa forme tétragrammique ?

Nous savons qu’Hashem est Eloquim » (1Rois XVIII, 39), mais dans cet ordre et non dans l’ordre inverse. Il y a là deux conceptions de D-ieu, du monde et du sens de la destinée humaine, radicalement différentes. Il est clair que pour Rashi et l’ensemble des théologiens juifs traditionnels dont le chef de file est, en ce problème, Juda Halévi, la réponse est : D-ieu de l’histoire, D-ieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. En ce cas, pourquoi le texte de la Thora s’ouvre-t-il quand même par « Au commencement », c’est-à-dire à la création de la nature ?

La réponse de Rashi est d’une profondeur considérable : c’est pour indiquer que, dans la perspective de la Thora, la nature elle-même est essentiellement la demeure de l’histoire de l’homme. Le lien entre l’histoire et la nature, c’est la géographie. Une philosophie « géopolitique » est inscrite dès le récit de la création de l‘homme** : « Emplissez la terre et conquérez-la. »

L’histoire des hommes a une finalité sur le plan même de sa nature, et cet enseignement concernera en fin de compte Israël, à chaque fin d’exil.

 

 

*André Neher « Préambule de Rashi au commentaire de la Thorah », Rashi, Editions du service technique pour l’éducation, Paris, 1974, p.208.

** Genèse I, 28 : Il est à remarquer que le mot Eloquim est employé trente-deux fois dans le Maassé beréshit – le récit du commencement. Or, c’est à la vingt-sixième fois qu’il concerne la création de l’homme (Genèse I, 26). On sait que la valeur numérique du mot Hashem sous sa forme tétragrammique est précisément de 26.

D’autre part, le verset des Psaumes cité par Rashi dans sa réponse : « La force deSes actes… » est interprété de la manière suivante : « La force de Ses actes », c’est le récit de l’œuvre du commencement. Or le mot « force » (en hébreu Koah) a pour valeur numérique vingt-huit. C’est au verset vingt-huit de ce chapitre que l’on peut lire : « Emplissez la terre et conquérez-la. »…

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