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12 janvier 2024 5 12 /01 /janvier /2024 06:33
Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

C’est une interview inhabituelle que le Myosotis du Dauphiné-Savoie offre à ses lectrices et lecteurs en ce début d’année 2024 : une conversation à bâtons rompus et sans concessions avec un des écrivains contemporains les plus adulé par le grand public.

Alexandre Jardin est né le 14 avril 1965 et exerce son talent en tant qu’écrivain et cinéaste, milieu où son père, Pascal Jardin s’est aussi fait un nom, en son temps.

Il est devenu célèbre en publiant à l’âge de vingt ans « Bille en tête », son premier roman, couronnés du prix du 1er roman.

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris (section Économie et finances), il devient chroniqueur au Figaro et pour d’autres journaux, chroniqueur littéraire sur Canal+ dans l'émission Nulle Part Ailleurs aux côtés de Philippe Gildas et d’Antoine de Caunes.

Il écrit aussi trois scénarii et les réalise, dont Fanfan et Oui.

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

En 1988, il reçoit le prix Fémina pour son livre Le Zèbre, ouvrage qui est adapté au cinéma par Jean Poiret en 1992, film qui obtient un certain succès.

A ce jour, il a écrit quelques 31 romans et trois essais.

Dans la première partie de son œuvre, il écrit avec un talent inégalé sur l’amour – la grande affaire de sa vie - et sur la manière de le renouveler constamment. Il y déploie un certain génie, ce qui lui octroie une certaine célébrité et le rend très populaire au sein du grand public, féminin en particulier.

En 1999, il est à l'origine de la création de l'association Lire et faire lire avec le journaliste Pascal Guénée ancien Président du Relais civique qui a « pour objectif de transmettre le plaisir de la lecture en pariant sur le lien intergénérationnel. ».

En 2002, il poursuit son engagement associatif avec la création de l'association Mille mots pour laquelle des bénévoles interviennent en prison. Il est également parrain de l'association Unis-Cité qui propose un service civil volontaire aux jeunes âgés entre 18 et 25 ans. Il publie 1+1+1 qui est un mode d'emploi pour faire de la politique autrement.

En 2007, à l'approche de l'élection présidentielle, il crée le site « Comment on fait », pour faire appel au bon sens des Français afin de résoudre leurs problèmes. L'idée est de communiquer les meilleures propositions pratiques au vainqueur de la présidentielle.

En 2011, il publie « Des gens très bien », un livre qui constitue un premier tournant dans son œuvre, souvent inspirée par les membres apparemment fantasques de sa famille. Cette fois, il se démarque autant que possible de son grand-père, directeur de cabinet de Pierre Laval avant d’être affecté à l’ambassade de la France de Vichy à Berne.

CONVERSATION A BATONS ROMPUS AVEC UN DES PLUS TALENTUEUX ECRIVAINS FRANCAIS : ALEXANDRE JARDIN.

Selon Alexandre, en étant directeur de cabinet du Président du Conseil Pierre Laval, qui cumulait aussi le portefeuille de l’intérieur et des affaires étrangères, Jean Jardin son grand-père, ne pouvait pas avoir les mains propres dans l’organisation des rafles de juifs, particulièrement celle du Vel d’Hiv en 1942, fonctionnellement. Dans cette conviction, il s’appuie sur le fait que toutes les traces de Jean Jardin ont disparues des archives, ce qui signerait une action de « blanchiment ». Une grande partie de sa famille furieuse de sa prise de position le critique violemment et rompt ses relations avec lui.

En 2012, lors de la présidentielle, il reproche à François Hollande une vision quantitative de la politique d'éducation, et un manque de vision qualitative.

Son appel « Aux actes, citoyens ! » est signé par l’Association des maires de France (AMF), l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), la Fédération des villes moyennes (FVM) ainsi que l’Association des maires ruraux de France (AMRF) lors d’un colloque organisé le 28 mai 2014 au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Il fonde en 2015 un mouvement citoyen, Bleu Blanc Zèbre qui rassemble des opérateurs efficaces pour réparer les fractures du pays et annonce en décembre 2016 sa candidature à l'élection présidentielle française de 2017, pour faire compter dans le débat public la France efficace, obtenant déjà des résultats, mais ne réussit pas à réunir les 500 parrainages nécessaires.

Au cours d’une de ses nombreuses apparitions dans des émissions télévisées, il crève l’écran dans un débat avec Tarek Ramadan. Celui-ci croit emberlificoter avec un discours pseudo-philosophique et soporifique pour les bisounours, qu’Alexandre Jardin rend aussi faux que vain par une seule phrase : « Quand j’écoute quelqu’un, j’écoute ce qu’il dit, j’écoute aussi ce qu’il est, et je crois qu’on vous entendrait mieux, parce que manifestement vous êtes sincère, s’il y avait un peu plus d’amour chez vous, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose d’extrêmement violent dans votre manière d’être, dans votre façon d’être, je pense qu’on vous entendrait mieux si on sentait qu’il y avait quelque chose vraiment d’amour (…) donc, si vous voulez faire évoluer le monde musulman, développez ça chez vous, au lieu de développer cette espèce de violence verbale ! »… (Quelle finesse et quelle justesse dans l’analyse, lorsqu’on découvre bien des années après le vrai visage de l’intellectuel islamiste, petit-fils du fondateur des « Frères musulmans » !).

De même lorsqu’il jette une brique de lait dans « l’émission politique » sur France 2 à la face de Bruno Le Maire qu’il dénonce comme étant indigne en raison de l’arrogance technocratique de son programme politique en vue de l’élection présidentielle.

Le 5 juin 2019, il publie Le Roman vrai d’Alexandre, autre tournant dans sa carrière d’écrivain à succès, dans lequel il avoue les mensonges qui ont jalonné son œuvre littéraire, livre étonnant de sincérité qui témoigne de sa recherche d’authenticité et de vérité.

CONVERSATION A BATONS ROMPUS AVEC UN DES PLUS TALENTUEUX ECRIVAINS FRANCAIS : ALEXANDRE JARDIN.

Son dernier livre est paru le 6 septembre 2023 : Frères (Albin Michel. 164 pages, 20 €). Il n’est pas présenté comme étant un roman et traite de sa relation et du suicide de son Frère Emmanuel qu’il pense ainsi refaire vivre. C’est l’occasion d’une nouvelle polémique avec sa famille qui supporte difficilement de voir Alexandre profiter de sa notoriété d’écrivain à succès pour livrer ses secrets au grand public.

Alexandre Jardin chez Pascal Praud . (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin chez Pascal Praud . (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

On peut aimer ou ne pas aimer l’écriture d’Alexandre Jardin, on peut même critiquer ce qu’il écrit ou sa démarche d’écrivain, mais une chose est sûre, c’est un homme courageux qui a su se mettre en danger, risquer de tout perdre pour se mettre en règle avec sa conscience.

C’est précisément une conscience, qui a pris le risque de s’attirer les foudres d’une partie de sa famille qui garde jusqu’à aujourd’hui le culte d’un zélé serviteur de Pierre Laval, chantre de la collaboration, en se démarquant complètement de ses idées. C’est ainsi qu’il répond toujours présent lorsqu’il s’agit de défendre les valeurs humanistes de la civilisation occidentale.

Alexandre Jardin, n’est pas un écrivain comme les autres : c’est un homme sincère et attachant, qui cherche à être utile à ses semblables, utile à sa patrie, à faire avancer la société. C’est ce que vous découvrirez dans la conversation très intimiste qui suit, dans laquelle il se confie comme jamais, et où il évoque aussi bien son rapport à la collaboration avec les nazis, les structures de pensée, son intérêt pour le Talmud, les dimensions d’un écrivain etc... Pour Alexandre, la réflexion doit évidemment donner lieu à l’action. Autant d’éléments qui font de lui un maçon sans tablier…

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin, tout d’abord, merci d’avoir accepté cet entretien avec le Myosotis du Dauphiné-Savoie, média dont les lectrices et lecteurs sont essentiellement des Francs-maçons résidant dans le monde entier, mais particulièrement en France.

Tu es né dans une famille qui a toujours été proche des milieux littéraires, tes grands-parents Jardin étaient amis avec la plupart des écrivains importants d’avant-guerre, notamment de Gide, ton papa, Pascal Jardin, était lui-même un scénariste et dialoguiste de grand talent (entre autres Le Train, Le vieux fusil, Le Chat etc..).

Est-ce cela qui t’a donné envie de suivre cette direction ?

Je savais qu’il était possible de corriger le réel avec un stylo, puisque c’était naturel dans ma famille. Je savais donc qu’on n’était pas obligé de tolérer le réel : on pouvait le corriger. De même qu’un fils de boulanger sait qu’on peut faire du pain, je savais qu’on pouvait s’opposer à la réalité. Ça change absolument tout, de savoir que c’est possible. Donc, ça a été complètement naturel, comme un fils de boulanger se met à faire du pain.

 

Quels sont tes auteurs préférés et comment ont-ils influencé ton propre travail ?

De très loin, mon auteur préféré, c’est ma grand-mère (appelée « Mouty » dans ses romans et dans sa famille. NDLR), qui était une écrivaine non pratiquante. Elle ne publiait pas, elle n’écrivait pas, mais elle créait sa langue. Elle ne parlait absolument pas comme tout le monde, et au fond, je crois que sa langue, dans laquelle on retrouvait celle des grands écrivains qu’elle a fréquenté ou aimé, contenait un peu de Paul Morand, un peu de Giraudoux, un peu d’Abélio, un peu de beaucoup de monde. Mais elle créait ses mots. Elle créait tout le temps un langage très émotionnel, qui permettait d’entrer en contact avec les autres. Et on retrouve sa langue chez mon père, on la retrouve chez moi… Il y a une liberté verbale, qui nous vient d’elle. Donc, avant de lire, j’ai entendu un certain français qui m’a été tout de suite très familier. Et puis ensuite, il y a eu tout un vrac : souvent de très sales types, puisque malheureusement le talent et la qualité éthique sont complètement décorrélés, ça va de Morand à Aragon, c’est-à-dire d’un sale type antisémite de génie à un franc soutien de Staline. Mais tous ces êtres ont brassé une langue française d’exception, d’une vitalité artistique stupéfiante, et ça m’a accoutumé à croire aux mots. Je voyais bien que chez ces êtres-là, le mot vaut la chose. Le mot est si puissant, que chez eux, le mot « palais », vaut Versailles. Donc, il y avait une possibilité de substituer à la réalité, un paysage de mots.

 

C’est intéressant ce que tu dis, parce que lorsque tu parles ainsi de ta grand-mère, j’ai toujours pensé que tu avais une cousine qui était une écrivaine potentielle, et qui ne pratique pas…Caroline. J’ai des écrits d’elle absolument extraordinaires, dégageant d’intenses émotions et démontrant un talent certain…

Oui, aussi. C’est le cas de presque nous tous. Ils sont pratiquants ou pas.

 

Emmanuel pratiquait aussi ?

Oui, il y a une poésie extraordinaire chez Emmanuel.

 

Y a-t-il des livres particuliers qui ont eu un impact significatif sur ta carrière d’écrivain?

Il y a eu un livre qui m’a tenu très loin des romans, pendant très longtemps, que j’ai lu à quatorze ans, et qui m’a si puissamment impressionné, que le reste des romans m’a semblé sans saveur pendant très longtemps : ça a été ma découverte du Voyage au bout de la nuit. Je ne savais pas qu’on pouvait faire cela avec du français. Ensuite, j’ai lu un des livres cousin de cet ouvrage, qui est Le feu de Barbusse, ou on retrouve cette langue des tranchés dans laquelle se mêlent le parler populaire, le parler ouvrier, la langue élaborée des grands lettrés français du début du vingtième siècle. Ça peut sembler étrange, parce que c’est très éloigné de ma langue, mais ça m’a tenu assez loin de la littérature pendant des années et je me suis réfugié à l’époque dans la lecture de biographies. Donc, je dois être un des plus gros lecteurs de biographies. J’ai dû lire quasiment tout sur Talleyrand, tout ce qu’on pouvait lire sur Disraeli en français ou en anglais, tout ce qu’on pouvait lire sur Ibn Séoud, tout ce qu’on pouvait lire sur Frédéric von Hohenstoffen, qui est probablement le plus grand politique de tous les temps, puisque c’est lui qui importe en occident la science expérimentale arabe, qui donc modifie la structure psychique de l’Occident par décret impérial.

Donc, au fond, j’ai d’abord basculé dans les biographies avant de rejoindre le roman.

Et les biographies m’ont permises de fréquenter des gens triés sur le volet sur plusieurs siècles, qui m’apprenaient jusqu’où on pouvait être… On pouvait être empereur, et prendre en main la destinée du psychisme occidental, ce qu’on ne m’apprenait pas à l’école. Frédéric von Hohenstoffen, est le contemporain de Saint-Louis. Saint-Louis traîne sous un chêne avec des glands, pendant que l’autre réforme la psyché humaine…

Frédéric II de Hohenstoffen

Frédéric II de Hohenstoffen

Peux-tu évoquer ta vision de ton propre parcours en tant qu'écrivain ? As-tu des regrets ?

J’ai fait ce que j’ai pu ! C’est-à-dire que j’ai commencé par corriger le réel parce qu’il m’était difficilement supportable… J’avais un vrai trouble en face de la réalité, qui me dérangeait profondément, donc je le corrigeais en prenant un Bic. Et puis, progressivement, je m’en suis rapproché avec des livres comme Des gens très bien, avec d’autres textes… Et puis je m’en suis rapproché aussi par mes engagements associatifs, mes engagements sociaux, éthiques, qui m’ont mis en contact avec toutes sortes de gens qui ne faisaient vraiment pas partie de mon premier cercle, et je me suis mis à vivre avec la réalité sociale de mon pays, et à vraiment connaître le fond de mon pays. Et ça m’a rendu amoureux du réel. J’ai passionnément aimé l’intelligence des autres, qui était bien, bien plus grande que celle de mon milieu d’origine. J’ignorais complètement qu’il y avait autant de formes d’intelligences qui ne ressemblaient pas à celle à laquelle on m’avait initié.

Et puis, il y a eu un acte fantastique dans ma vie, je dis un acte comme un acte au théâtre, qui a démarré il y a trois ans, quand j’ai rencontré une femme d’une toute autre dimension, que j’appelle « ma femme-vie », qui est quelqu’un qui sait vivre au bon niveau à peu près tout. Je me suis rendu-compte à quel point je vivais plein de parties de ma vie, pas au bon niveau. Et c’est comme si elle avait tout réajusté, et depuis qu’elle est là, tout ce que je vais écrire aura une autre couleur, et le livre Frères a une densité émotionnelle qui m’était inaccessible avant.

Parce que pour pouvoir écrire Frères, il faut des transformations intérieures très puissantes que je lui dois, que je dois à cette femme qui est plus élevée que moi. Parce que c’est très, très rare, un être humain qui est juste au bon niveau, qui est dans le Sacré quand il y a du Sacré, qui est dans la déconnade quand il en faut, qui ne se trompe jamais de niveau. J’insiste parce qu’un des grands troubles de notre époque c’est que quasiment tout est vécu au mauvais niveau. Les gens qui s’expriment dans les journaux ou sur les chaînes de télévision ou sur les réseaux, parlent très souvent en écho à ce qu’ils sont et non pas au juste niveau de ce qu’ils voient. Ils sont en général très prisonniers de leur ego, de leur référentiel. Ils ont un mal fou à accéder à un regard juste, à prendre réellement conscience de ce qui se passe. Je vois bien que cela correspond à un trouble qui est bien, bien plus grand que de la connerie, c’est qu’il est difficile de vivre au bon niveau. On vit en général englués dans nos peurs, dans nos référentiels, dans nos réflexes identitaires, dans nos paniques, très rarement au niveau de l’Autre. Or, ce qu’on regarde, c’est toujours un autre.

Alexandre Jardin: Frères.

Alexandre Jardin: Frères.

Comment t’es venue cette envie et ce talent pour parler d’amour ?

D’abord, j’en ai très mal parlé pendant toutes les années où j’ai écrit mes romans d’amour, de jeunesse, parce que je parlais de quelque chose que je ne connaissais pas, que j’espérais, que j’imaginais. Et tout ce que à quoi j’ai cru en écrivant ces livres, aujourd’hui, je n’y crois plus. Je croyais, par exemple, que le déclin du désir était à peu près inévitable et inscrit dans les relations. Je ne savais pas que quand on rencontre sa vraie femme, tout est donné, qu’au fond, il n’y a rien à faire. Je pensais qu’il fallait s’agiter, donc, mes personnages s’agitent. Je n’avais absolument pas compris à quel point, quand on est à la bonne place, en réalité, tout est donné.

Par conséquent, ça doit être difficile d’écrire des histoires d’amour qu’on n’a pas forcement soi-même vécu ?

Ça crée des fictions très agitées. Je ne savais pas vraiment ce que c’était… Je savais que ça m’arriverait, mais je ne savais pas très bien ce qui pouvait m’arriver, parce que j’avais une connaissance extérieure de ce mot, et non pas de l’intérieur de l’amour. Donc, je faisais ce que je pouvais ! (Il rigole. NDLR) Mais j’ai écrit sur des personnages qui sont très agités.

Justement, tu fais souvent appel aux membres de ta famille pour constituer les personnages de tes livres. Depuis un certain temps tu as commencé à aussi à parler de toi, à te mettre en scène... Comment ton expérience personnelle influence-t-elle ton écriture ?

Tant que j’étais relativement coupé du fond de mon être, je ne pouvais pas écrire autrement que ce que je faisais, que ce que j’écrivais. Ce qui modifie vraiment la texture d’un texte, c’est la qualité de sa présence au monde. Quand on est effectivement présent dans sa propre vie, on n’écrit pas du tout de la même manière. Donc, je ne dirais pas que sont des évènements, ce sont plutôt des évènements intérieurs, des états de conscience différents, des états d’éveil différents.

Pourquoi ce besoin de mêler des éléments autobiographiques dans ton œuvres ?

Parce qu’il s’est trouvé que la plupart des gens de ma famille portaient des grands sujets. Par exemple, mon père Pascal Jardin, on peut le décrire comme un scénariste, écrivain, ou, comme je l’ai fait dans un livre qui s’appelle Le Zubial, qui traite d’un très grand sujet que portait mon père : la possibilité de vivre sans la peur. Que se passe-t-il dans notre vie, si la peur ne gouverne plus ? Il se passe ce qui se passe dans Le Zubial. C’était un des grands sujets que portait mon père. Il en portait plusieurs autres, mais dans ce livre, j’ai décidé de traiter d’un grand sujet dont il était porteur. Or il y a beaucoup de gens ou de situations dans ma famille qui ont porté de grands sujets. On va parler peut-être après des Gens très bien, mais, au-delà de mon grand-père dont il est question dans ce livre, c’est aussi un livre qui parle de la possibilité de dire la vérité en famille. Or, c’était un sujet central, chez nous. Donc, j’ai souvent vu dans ma propre famille, d’immenses sujets qui dépassaient les questions propres à ma famille. Je voyais de grands sujets universels, parce qu’après tout, ce n’était pas la première famille où il était impossible de dire la vérité et j’ai souvent perçu les membres de ma famille comme des héros en positif ou en négatif, vivant au sein de très grandes tragédies et porteurs de questionnements, de positionnements aussi puissants que ceux que l’on peut trouver dans les pièces de Racine

CONVERSATION A BATONS ROMPUS AVEC UN DES PLUS TALENTUEUX ECRIVAINS FRANCAIS : ALEXANDRE JARDIN.

Permets-moi de t’opposer une critique : tu dresses le portrait de femmes aisément reconnaissables qui ont croisées ta vie dans Chaque femme est un roman. Certains sont peu flatteurs. Ne trouves-tu pas lâche de régler ainsi des comptes avec des personnes qui n’ont pas la notoriété qui leur permette de donner leur version ? 

Si. C’est vrai, ce que tu dis. Mais la littérature, ce n’est pas le lieu de la morale. C’est le lieu de l’expression du vrai. Je le pense très fondamentalement. D-ieu sait que je suis tourmenté par des questions éthiques, mais je considère que la littérature, ce n’est pas ce lieu-là et ce n’est pas forcément bien d’écrire un livre, voire même un grand livre… Quand on se plonge dans Les liaisons dangereuses, c’est quand-même l’éloge de la perversion et de la manipulation…ce n’est pas terrible ! Mais simplement, c’est l’expression d’une vérité que porte quelqu’un. L’auteur des Liaisons dangereuses pense que l’alpha et l’oméga du rapport amoureux c’est la domination. Et comme il le pense vraiment, il nous permet d’être mis en contact avec cette portion de notre être. Au fond, je crois que c’est un endroit qui est beaucoup plus puissant qu’on ne le pense ordinairement, parce que c’est là où l’âme humaine s’exprime, mais ce n’est pas forcément correct, ce n’est pas forcément exemplaire, et je n’échappe pas à cette logique-là.

Est-ce que, comme d’autres écrivains, tu as des rituels d'écriture ?

Je travaille tout le temps. Il faut travailler tout le temps. Il n’y a pas de début ou de fin.

Comment organises-tu ton temps et ton espace pour rester productif ?

Je limite le temps d’écriture, pour me livrer à toutes sortes d’autres activités. Mais c’est l’espace qui m’est naturel, dans lequel je vis. Si je ne me surveille pas, j’écris.

Mets-tu longtemps pour trouver le thème de ton écriture ? As-tu des idées en réserve ?

J’ai plutôt des livres très importants, que je repousse, qui me font peur. Frères, je l’ai repoussé pendant des décennies. Je ne savais pas comment penser ce livre. Je savais qu’il était devant moi, Des gens très bien, je savais que ce livre était devant moi, mais je ne savais pas comment le penser. Il y a des morceaux qui sont trop gros pour les penser d’un coup. Là, je viens d’écrire un livre que je ne vais pas faire paraître, qui sortira dans plusieurs années, parce que je sens qu’il n’est pas mûr : j’en écris un autre.

Et celui-là, tu pourras en modifier son écriture, ou le gardes-tu intégralement en l’état pour l’avenir ?

Pour l’instant, il existe sous cette forme, mais je sais que ce n’est pas sa forme aboutie.

As-tu des moments où tu as des difficultés à trouver une inspiration ?

J’ai eu des moments comme-ça. Je n’en ai plus du tout. En fait, c’était des moments où je n’habitais pas ma propre vie. On a tous des moments où on est plus ou moins présents dans sa vie, dans son être et c’est très indexé là-dessus. Au fond, quand on est réellement présent, il y a mille sujets qui surgissent.

Tu as une première partie de ton œuvre qui a été consacrée à parler de belles histoires d’amour et même si aujourd’hui, tu n’aimes plus ces livres-là, ils ont marqué beaucoup de gens parce qu’ils étaient remarquablement écrits, ils étaient frais, ils donnaient envie d’être amoureux et puis, dans un deuxième temps, tu as abordé des livres beaucoup plus intimistes. Est-ce que c’est dur de se renouveler ?

Ce n’est pas un problème littéraire, ce qui est dur pour chacun, c’est de continuer à naître. L’œuvre littéraire suit. Je pense que ce n’est pas seulement l’œuvre littéraire : quand Modigliani fait du Modigliani à l’infini, c’est qu’il y a un vrai problème dans sa vie ! Quand Picasso continue à naître, c’est qu’il est dans une autre dynamique intérieure. Quant Victor Hugo continue à naître, il évolue même sur l’échiquier politique ! Ce n’est pas un homme qui est, c’est un homme qui devient. Je crois qu’il faut vraiment choisir : est-ce qu’on devient, ou est-ce qu’on est ? Ça ne donne pas du tout la même couleur à une vie et donc à une œuvre. On voit bien que Cocteau n’arrête pas ! Il est dans une effervescence permanente, aussi bien quand il peint un plafond de chapelle que quand il passe au cinéma.

Est-ce que ton approche de l’écriture a changé de manière significative au fil du temps ?

Elle est encore en train de changer énormément ! Le livre que j’ai commencé il y a trois semaines, n’a déjà pas la couleur de Frères. Il a la même qualité de présence, mais il va vers une langue beaucoup plus simple, qui m’ a prise énormément de temps pour en trouver sa couleur.

Y a-t-il un message ou une idée que tu souhaites transmettre à travers tes écrits ?

L’extraordinaire possibilité qui nous est donné de continuer à naître ! Il n’y a aucune forme de fatalité. Ça n’existe pas ! Et dès qu’on commence à le croire, ça veut dire qu’on se berne ! Ça veut dire que le problème n’est pas dans le monde, il est à l’intérieur de nous, et au fond, tous mes livres tournent autour de ça. Ce sont quand-même des gens qui cherchent un élargissement, qui cherchent à ce que la fatalité n’ait jamais le dernier mot… Fondamentalement, je n’y crois pas. Je sais très bien que si on avait pris un café à Paris à Noël 43, on n’aurait pas eu le moral…et si je t’avais dit : il y en a plus pour très longtemps, après, on va se taper trente ans de croissance, il y aura Brigitte Bardot, les Beatles, tu m’aurais pris pour un fou ! Et pourtant, c’est ce qui s’est passé !!! (Il éclate de rire ! NDLR)

Moi, en 1943, mon avenir aurait été supposé assez limité…

Oui, mais pourtant, ce que je dis, c’est tout de même la vérité. J’ai pris exactement une des dates les plus noires, où l’optimisme n’était pas vraiment de rigueur.

Statut des juifs 1940

Statut des juifs 1940

Qu’est-ce qui fait qu’un écrivain comme toi qui sort régulièrement des livres qui connaissent un succès, est amené à changer d’éditeur ? Pourquoi un écrivain change d’éditeur ? J’observe que tu étais chez Gallimard, qui est une maison prestigieuse, tu es passé ensuite chez Grasset et maintenant, tu es chez Albin Michel…

Je ne crois pas du tout aux maisons d’édition. Je crois aux individus qui sont dedans. Est-ce qu’il y a à un moment donné, dans la maison d’édition, une fille ou un type qui porte la liberté très haut ? La liberté de création… Aujourd’hui, j’ai retrouvé ça chez Albin Michel, j’avais vraiment trouvé ça à un moment dans mes rapports avec Jean-Paul Enthoven chez Grasset et avant chez Gallimard avec Françoise Vergny. Je n’ai jamais cru au prestige des couvertures. Je suis quelqu’un, je marche toujours avec quelqu’un, dans l’édition comme en tout. Je ne crois pas aux marques (Il pouffe. NDLR) !

Donc, c’est une question d’hommes…C’est-à-dire que si Enthoven va demain matin aux Editions Héloïse d’Ormesson, tu vas aller chez…

Oui, fondamentalement. Françoise avait quitté Gallimard, à l’époque j’étais allé chez Flammarion pour un livre… Fanfan a été publié chez Flammarion. Je devais être le seul jeune auteur chez Gallimard, qui s’en foutait d’être chez Gallimard…

Albert Camus a écrit : « Le but d’un écrivain, est d’empêcher la civilisation de se détruire ». Est-ce la raison pour laquelle tu es allé te fourvoyer en politique il y a quelques années ?

J’aime bien cette phrase. Et puis j’ai du mal à ne pas agir pour le bien commun, quand j’en ai la possibilité. Quand on a accès à certains leviers, quant on peut passer par-dessus le barrage de la secrétaire, quant on peut faire avancer un dossier et qu’on ne le fait pas, ça me fait désespérer des élites. Je trouve qu’avoir la chance d’avoir une certaine position sociale, créée des obligations. On ne peut pas uniquement prendre, ce n’est pas possible, le monde ne peut pas tourner comme-ça !

Parlons maintenant de ton dernier livre, Frères, que tu as récemment publié. Qu'est-ce qui t’a donné envie de l’écrire maintenant, alors que ton frère Emmanuel s’est donné la mort il y a déjà trente ans ?

Il y a eu un très grand vide dans ma vie, quand il y a deux ans, j’ai perdu ma mère, mon beau-père adoré et ma sœur. D’un coup, tout le monde est mort ! Et donc, il y a eu un manque de matière, de chair et dans ce moment-là, j’ai ressenti très profondément l’horreur de l’enfoncement dans l’oubli de certains êtres de ma famille et le plus impensable pour moi, dans toute ma vie, ça a été mon frère Emmanuel. Celui que je n’avais pas su penser et qui partait dans l’oubli. A ce moment-là, ça m’a été intolérable. Et c’est à ce moment que j’ai rencontré ma femme-vie et elle m’a donné une telle sécurité affective, que j’ai pu m’aventurer dans un livre dangereux pour moi, émotionnellement difficile. Cette conjonction a donné Frères. Et je sais maintenant qu’Emmanuel ne mourra jamais. Il fallait que je contrecarre l’opération effacement

Est-ce que c’est compatible avec la révélation de certains…on va dire, secrets plus ou moins sordides ?

C’est toujours une histoire de niveau. Je crois que le niveau de la vérité dans un lien, est toujours plus intéressant que le niveau de l’honorabilité. La complexité d’un lien, on la traite, ou on ne la traite pas. Pour moi, Emmanuel était porteur d’une telle puissance, que je n’avais pas envie de le châtrer. Il me posait des questions à la fois par ses actes terribles et ses actes positifs et son amour et en même temps le côté dangereux de ce jeune homme, mon frère, que cela me semblait un contresens d’écrire un livre prudent à son endroit. Un livre convenable. Il n'y a rien de convenable, chez Emmanuel.

Chez les Jardin non plus !...

Chez la plupart…

Apparemment, tu y livres certains « secrets de famille » … Comprends-tu la colère de certains de tes cousins ou cousines, choqués une fois encore de voire ces secrets exposés en place publique ?

L’honorabilité me fait vomir… Il y a quelque chose qui est beaucoup plus beau, c’est la puissance de certains êtres. Et D-ieu sait qu’Emmanuel n’était pas honorable. Il était profondément vivant et porteur d’une audace dans sa manière de vivre, qui n’allait pas tellement avec une logique de petit bourgeois. C’est (NDLR : il utilise le présent) vraiment un aventurier qui m’a posé des questions énormes, en vivant, en me montrant jusqu’où il était possible, quand on existe, de suivre son désir… Jusqu’à l’impensable ! Donc, forcément, écrire sur lui, c’était écrire sur des zones dangereuses. Quand je découvre, juste après la mort de notre père, qu’il couche avec sa dernière compagne : il a sauté dans le lit de la dame, il s’est installé dans l’appartement de la dame… Je vais le voir, j’ai quinze ans, je ne suis pas très vieux et je lui dis que ce n’est pas possible de faire ça ! Que c’est terriblement dangereux, que c’est vraiment un « one way ticket », et qu’il peut en crever. Il me répond franchement : « ce n’est pas dangereux, c’est TRES dangereux ! C’est pour ça que c’est bon » …

Je lui dis : « tu ne peux pas faire jouir la femme de papa » ! Il me dit : « Mais non, je la fais mieux jouir que papa, et c’est ça qui est bon » !... Je lui dis : « mais tu ne peux pas vivre comme ça » ! Il me répond : « Mais si, regarde-moi » … Il est au-delà de toute morale, au-delà de toute prudence, moi j’ai quinze ans, il en a dix-huit, et il m’ouvre à des questionnements… Je ne savais pas que la vie pouvait être cela. Et je suis confronté très, très jeune à cela, par lui.

C’est amoral, ou c’est immoral ?

Les deux, et pire encore. Et encore plus dangereux, puisqu’il finit par se mettre une balle dans la tête.

Il y a un autre exemple comparable, dans la famille avec Zouzou, que tu as évoqué dans l’un de tes livres ?!...

Oui. Bien-sûr ! Qui passe de génération en génération, d’homme en homme… Mais c’est une famille qui est très compliquée, et qui soulève quand-même d’énormes transgressions. Mais où on les regarde avec un jugement moral classique, où on les regarde comme je le fais : comme des êtres qui ont été explorer la psyché, en me foutant la trouille au passage

Je me demande si ton père, Pascal Jardin n’avait pas évoqué exactement la même histoire dans son livre « Je te reparlerai d’amour », avec le personnage de Clara ?

Si…

CONVERSATION A BATONS ROMPUS AVEC UN DES PLUS TALENTUEUX ECRIVAINS FRANCAIS : ALEXANDRE JARDIN.

Il faisait allusion à ça ?

Bien-sûr, puisqu’un des amants de ma grand-mère, sa mère, s’est marié avec une femme qui a été la maîtresse de papa… On est dans des familles qui sont qui sont à un niveau de structure psychique incestuelle diabolique et destructrice. D’ailleurs, tous ces hommes meurent jeunes.

Tu y as échappé ?!...

J’ai eu beaucoup de chance. Me rendre compte, mais en même temps le destin de mon frère, en écrivant Frères, j’en ai vraiment pris conscience, m’a amené à me poser des questions de manière frontale et à faire des choix.

Est-ce que tes enfants sont atteints par tout ce que tu peux révéler ou leur raconter en privé sur leur famille ? Est-ce que ça exerce un poids sur eux?

Non, ce qui exerce un poids sur les enfants, ce n’est pas de dire, c’est de ne pas dire ! Quand on parle simplement des choses, je me souviens mon fils Virgile était en classe de 3ème quand j’ai publié Des gens très bien, et il me dit : « j’ai été pris à partie par des élèves dans la cour de récré, qui m’ont dit : dans ta famille, ils ont tué des juifs ! » et je lui ai demandé :

- Qu’est-ce que tu as répondu ?

- Oui, je leur ai dit que c’est vrai.

Et il a rajouté : « Tu as bien fait d’écrire le bouquin, je n’aurais pas à le faire ». Voilà ce que dit un gosse de 3ème, quand il est dans une famille qui se met à jour.

C’est très touchant…

C’est très touchant, et ce n’est pas dramatique pour lui. C’est fait.

Et tes autres enfants ?

Ça n’a jamais posé de problèmes. Je pense que ce qui pose de vrais problèmes, c’est la dissimulation. D’ailleurs je vois bien que la branche de la famille qui vit avec des non-dits, elle va mal, psychiquement… Ne pas vivre avec le réel, c’est très compliqué pour n’importe être humain. Ça lui coûte cher. Ça provoque une telle tension psychique, que ça ne va pas bien. Un jour, j’étais à la gare de Lausanne, peu de temps après la publication des Gens très bien, une femme m’arrête et me dit : « je viens de lire votre livre, Monsieur, ça m’a fait beaucoup de bien, je m’appelle (elle me sort un nom à particule) ». Je ne vois pas ce que cela veut dire, et elle me dit : « Oui, mais mon vrai nom, c’est… ». Et elle me sort tous les noms à rallonge de sa famille, et le dernier, c’était du Moulin de Labarthète…Le directeur de cabinet de Pétain au moment où mon grand-père était directeur de cabinet de Pierre Laval. Et elle me dit : « Dans la famille, on a porté le vrai nom qui dissimule le nom sale. La plupart des membres de ma famille sont en Hôpitaux psychiatriques ».

Je n’ai jamais revu cette femme, une rencontre comme-ça dans la gare de Lausanne ! Tout est dit ! A un moment, nous devons vivre avec le réel

C’est ce que tu veux dire à travers Frères ?

Oui.

Comment envisage-tu maintenant ta carrière d'écrivain ?

Beaucoup moins française.

Beaucoup plus canadienne ?

Beaucoup plus monde, parce que j’aime une femme-monde, qui vient de beaucoup de cultures, qui cumule beaucoup de cultures, qui comprend très bien la littérature française mais qui vient aussi d’un monde asiatique, d’un monde nord-américain, qui me fait vivre dans des émotions beaucoup moins centrées sur l’Europe.

L’année prochaine ; je tournerai un film au Vietnam, donc je vais être beaucoup moins centré sur ma culture d’origine.

On peut connaître le thème de ton film ?

Non, je n’en parle pas encore. Mais elle m’a complètement ouvert à la possibilité d’être un homme-monde, parce qu’elle est une femme-monde !

Tu as visité la Grande Loge Nationale Française, un endroit où l’un de tes cousins par alliance, n’a pas laissé un très bon souvenir… quelle est ta vision de la Franc-Maçonnerie ?

Des gens qui cherchent… C’est comme cela que ça m’apparaît.

C’est une vision tout-à-fait exacte… Que t’inspire la notion de Tradition ?

J’aime tous les chemins qu’inventent les hommes pour se rapprocher de leur Vérité, et ils sont très inventifs ! Je déteste la normalisation, c’est-à-dire les chemins que les uns et les autres trouvent, m’intéressent toujours, parce que je vois bien qu’au-delà de l’apparence, en réalité ce sont des cheminements mentaux qui se sont structuré autour de Rituels, autour de communautés humaines. Il y a eu un moment très important dans ma vie qui était la découverte du Talmud dont j’ignorais tout, qui m’a très profondément nourri. C’est une Tradition qui expérimente une façon d’être absolument unique !

Alors, on peut dire que ça appartient aux juifs, puisqu’historiquement ça s’est passé comme ça, mais la puissance universelle du Talmud, saute aux yeux… Ce projet extraordinaire de fabriquer des hommes et des femmes-questions et non pas des hommes et des femmes-réponses donne lieu à des rituels, donne lieu à des communautés.

Et donc, pour en revenir à la Franc-maçonnerie, c’est un autre chemin, mais tant que l’homme cherche, qu’il passe par une porte ou une autre, qu’il y aille !!! Qu’il ne se résume pas à être un être humain qui pousse des caddys dans un supermarché…

En même temps, la Franc-maçonnerie, c’est un Ordre, avec tout ce que cela implique, avec des connotations diverses dont les différentes facettes ne peuvent pas t’échapper… Cela ne te fait pas un peu peur ?

Ce qui me fait peur, c’est quand les gens ne cherchent rien…Ça, ça me fait peur. Au fond, ce qui me fait très peur chez l’être humain, c’est le point mort, quand le moteur psychique et identitaire n’avance plus. Ça, ça me fout vraiment les chocottes. Ensuite, je crois toujours aux personnes. On parlait des marques, des maisons d’édition… Bien sûr que ça existe, mais je crois toujours à la valeur des personnes qui sont dedans, et je crois que c’est pareil dans la Franc-maçonnerie. On ne peut pas faire l’économie de la valeur du cœur.

Sais-tu qu’en Israël vivent des descendants de criminels de guerre nazis allemands (NDLR : Par exemple, Mathias Göering, Catherine Himmler), dont certains se sont convertis au judaïsme, se sont installés en Israël, leurs enfants et petits-enfants sont de parfaits petits israéliens, servent souvent dans des unités d’élite de Tsahal. On ne peut pas ne pas penser que cela ne naît pas de l’expérience qu’ils ont vécu. As-tu une expérience comparable dans ta découverte du Talmud, dans tes amitiés avec des rabbins ?

Je ne crois pas que ce soit fait comme-ça… L’inconscient joue des tours, mais cela ne s’est pas présenté comme-ça. C’est plutôt un ami d’enfance très proche, qui m’a dit : « Tiens, à Copernic, il y a un rabbin qui fait un exercice talmudique sur un de tes romans, Le petit Sauvage. Il s’appelle Marc-Alain Ouaknine, tu devrais venir la prochaine fois ».

Donc je viens, je m’installe au fond. J’écoute et je découvre ce jour-là sa conception du rire et de l’humour juif empêchant la stabilisation de la pensée, l’ossification de la pensée, puisqu’un être humain qui se marre, ne se fige pas. Je découvre énormément de choses en une fois, et j’ai trouvé cela si nutritif ! En plus, ça démarrait d’un de mes romans, c’est très étrange…

Maintenant, je pense que tout cela a joué très fortement dans mon adolescence, quand j’étais adolescent, j’étais amoureux d’une fille dont la mère avait été à Auschwitz pendant deux ans, et là, il était clair que j’allais chercher quelque chose, comme elle aussi cherchait quelque chose. Donc l’inconscient a toujours fonctionné. Mais il y a eu une séduction intellectuelle du Talmud.

Tu évoquais le Talmud, à mes yeux le dictionnaire de la Thora… Sais-tu qu’en Corée du Sud, on enseigne le Talmud à l’école ?

Mais je comprends ! Quand moi, je découvre le Talmud par Ouaknine, je ne comprends pas comment ça n’est pas étudié partout ! Alors, je tombe dans une synagogue libérale qui a une certaine conception du judaïsme, mais… cela ne m’étonne pas, c’est-à-dire que c’est quand-même la potion magique ! Si on prend un petit être humain et qu’on le fait rentrer dans ses mécanismes mentaux qui aboutissent à la recréation de son être en permanence, à une désossification complète du psychisme humain… Je ne vois pas pourquoi ce serait réservé à certains ! (NDLR : Il éclate de rire) C’est tellement extraordinaire… J’ignorais pour la Corée du Sud, mais voilà des gens qui ont tout compris !

Talmud de Babylone

Talmud de Babylone

Ils ont fait une longue enquête en Israël pour déterminer pourquoi s’y trouve une telle concentration de matière grise…

Bé, c’est le Talmud ! Point ! C’est le Talmud !

Apparemment, ça a été leur conclusion…

C’est tellement simple, ça saute aux yeux !

Ça fait maintenant une heure que nous nous parlons, j’ai une question qui me taraude depuis un certain temps à la lecture de tes livres et en t’écoutant : Est-ce que tu ne t’es pas permis, est-ce que tu ne t’es pas offert une liberté, que ton père n’a pas osé prendre ?

Bien-sûr, c’est évident ! Ecrire Des gens très bien n’était certainement pas possible à la génération qui suit, parce qu’il y a trop d’amour. Ce qu’a fait mon père en écrivant Le nain jaune est très ambigu. Apparemment, en apparence, c’est un livre d’amour à son père, mais il y a une deuxième facette, c’est que c’est une transgression absolument majeure, parce que de son vivant, son père ne voulait pas que l’on parle de lui. Et quand papa a publié en 1972, alors que mon grand-père vivait encore La guerre à neuf ans, Jean Jardin a essayé de racheter le manuscrit pour qu’il ne paraisse pas, parce qu’il ne savait pas ce que papa avait écrit dedans. En réalité, c’est un homme qui avait peur, à juste titre et qui donc a passé sa vie à ne pas apparaître. Et quand tout-à-coup, la génération du dessous simplement le nomme, le met dans la lumière, je pense que pour la première génération, c’est déjà considérable et que c’est au maximum de la liberté qu’il pouvait prendre. Ma famille ne l’a pas compris. Je n’ai vu que ça. Parce qu’au fond, ce genre de famille, ne veut qu’une chose : le silence. Que tout cela, soit enfouis.

 

CONVERSATION A BATONS ROMPUS AVEC UN DES PLUS TALENTUEUX ECRIVAINS FRANCAIS : ALEXANDRE JARDIN.

Tu penses que tu arriverais en tête-à-tête à leur expliquer, à leur faire comprendre les choses ?

J’ai souvent essayé!

Tu as eu l’occasion de parler avec Gabriel Jardin (NDLR: Son oncle) ?

Oui, bien-sûr. C’est un monde impensable. Mon monde mental est impensable. Le jour où je lui ai remis le manuscrit des Gens très bien, c’est moi qui le lui aie apporté, ça représentait une telle transgression… Je n’ai pas de jugement, parce qu’après tout, il n’est responsable de rien, je pense que ça allait trop loin dans des bouleversements émotionnels ingérables…

Mais pourquoi il en est de même aux générations suivantes ? Parce que Gabriel, on peut comprendre, mais les enfants de Simon Jardin, ton oncle, comment se fait-il, selon toi, que cela n’accroche pas ?

C’est très mystérieux… Pourquoi il y a chez l’humain une telle réticence à accéder au réel ?  C’est un problème plus global.

Une chose me trouble… J’ai connu autrefois un membre de ta famille, une de tes cousines, dans les faits, c’était à Yad Vashem, le mémorial de la Shoa à Jérusalem, qui manifestement l’a bouleversée. Le discours qu’elle tenait à cette époque, était un discours de compréhension, d’analyse de son passé, de la pleine conscience qu’il y avait un sacré problème avec son grand-père et aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même état d’esprit, au contraire, c’est une régression totale.

Je pense que le rapport qu’on entretien avec la réalité, que ce soit sur ce point ou sur d’autres, est très fluctuant en cours de vie. Je pense qu’il faut beaucoup de courage pour s’en approcher. Donc, il faut être dans un moment où on se sent en sécurité, et c’est aussi fluctuant en cours de vie. Il y a un phénomène psychique qui m’a toujours fasciné, c’est la réticence de l’être humain à s’actualiser. Le monde change, mais actualiser son regard, ses jugements est très compliqué. Le Quai d’Orsay pense ceci-cela, quoi qu’il advienne. Dans l’absolu, on se dit que c’est quand-même psychiatriquement un peu dingo, mais en fait, c’est propre à l’humain. S’actualiser, c’est très, très rare et c’est souvent très miraculeux. Un jour, j’ai lu dans un livre qu’on ne doit pas être nombreux à avoir lu, les Mémoires de la maréchale de Lattre de Tassigny, livre qui traînait dans une chambre d’une maison de vacances, un chapitre où cette femme antisémite et son mari antisémite  et raciste et antimusulmans, anti tout, se retrouve à dîner à Alger au moment où de Gaulle a demandé à son mari de créer des écoles d’officiers pour encadrer les armées d’Italie et les armées qui vont débarquer en Provence et ils sont très « France traditionnelle » antisémite et elle fait observer que les officiers qu’ils forment, sont en grande partie juifs et musulmans à Alger de l’époque. Et elle lui propose de renoncer à leur racisme et à leur antisémitisme. Parce que ça ne colle plus : ils vont libérer la France ! Il y a un dîner où ce couple s’actualise ! C’est-à-dire, se rend compte que son logiciel n’a plus aucun sens par rapport à leurs propres valeurs. C’est un petit moment miraculeux, un drôle de passage… C’est très rare !

Et pour un militaire c’est assez exceptionnel…

Il faut une guerre mondiale…

Très curieusement, c’est un type déjanté comme Trump, qui a été capable de cela : sur la situation au Proche-Orient, il fait le constat que tout ce qui a été tenté jusqu’à présent a échoué. Il change complètement d’approche, cela donne les Accords d’Abraham, la paix entre plusieurs pays arabes et Israël…

Dernière question, tu n’y échapperas pas : que lis-tu en ce moment ?

Je lis « La difficulté d’être » de Cocteau… je lis souvent ce fulgurant !

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

Alexandre Jardin. (Photo:Avec l'aimable autorisation d'Alexandre Jardin. Tous droits réservés).

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Présentation

  • : Le Myosotis du Dauphiné Savoie - Le Blog des Fidèles d'Amour -
  • : Tribune créée dans un premier temps pour véhiculer un combat en faveur de valeurs éthiques et morales au sein de la Franc-Maçonnerie de Tradition. Désormais, ayant contribué au succès de cet objectif, elle se consacre à la défense de celles-ci. Par ailleurs, seront présentés des articles reflétant études, lectures, engagements, et sympathies.
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Référence et remerciements:

 

Par arrêt en date du 20 mai 2015, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 6 mai 2014 par la chambre de la presse du tribunal de grande instance qui m'a déclaré coupable de diffamation publique envers François Stifani et Sébastien Dulac, à raison de la diffusion d’un message diffusé le 22 septembre 2010 sur le blog le myosotis-dauphine.savoie.over-blog.com. Je considère cet évènement comme l'attribution d'une Légion d'Honneur.

Merci aux soeurs et frères très nombreux qui m'ont soutenu dans ce combat de cinq années dont je m'honore, et dont je ne regrette rien.

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