21 novembre 2015
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Les auteurs des attentats précédents en France, Mohamed Merah en 2012, Mehdi Nemmouche en 2014, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly en janvier 2015 avaient à chaque fois défini des cibles dites « qualitatives » : des représentants de l’autorité de l’état (policiers et militaires), des caricaturistes assimilés à des ennemis du prophète Mohamed, (Charlie Hebdo) et des juifs (Ecole Ozar Hatorah, Musée Juif de Bruxelles, Hypercasher). Le semaine dernière l’effet de masse était recherché, avec des cibles indiscriminées, à l’instar des attentats de 1986 rue de Rennes et dans le RER Saint-Michel en 1995.
A travers « La Belle Equipe », « Le Petit Cambodge », et le « Bataclan » - par ailleurs abhorré dans les milieux islamistes et pro-palestiniens – c’est une façon de vivre à la parisienne qui a été visé, symbole d’une France qualifiée de « capitale de la prostitution et de l’obscénité » par le communiqué de revendication de l’Etat Islamique publié samedi dernier.
Le mode opératoire des attentats du week-end dernier démontre une « montée en gamme » des hommes de l’’Etat Islamique en Europe.
La coordination, la multiplicité des modes opératoires (fusillades, kamikazes et prise d’otages de masse), et surtout la préservation du secret opérationnel jusqu’au dernier moment tout cela a de quoi inquiéter les autorités de l’état.
S’ajoute à cela la suspicion de préparation d’attentats à l’arme chimique, et l’on comprend que les inquiétudes ont de quoi être fondées.
Mais surtout, on peut s’interroger sur le fait qu’à chacune de ces tragédies, on découvre que la quasi-totalité des terroristes sont connu par les services de renseignement français.
Alors pourquoi le suivi n’a pas été assuré ? Le manque de moyens, le manque de budget explique-t-il tout ? Le 13 novembre 2015 marque aussi une date charnière dans la stratégie de l’Etat Islamique. Jusqu’alors, il se fixait des objectifs régionaux avec en objectif l’édification d’un Etat, le « Califat » situé à la fois en Irak et en Syrie. Les seules incursions de l’organisation étaient le fait de « loups solitaires » comme à Bruxelles en 2014 ou sur la plage de Sousse en juillet dernier par exemple. Il semble que désormais l’Etat Islamique a « franchi le Rubicon », concurrençant son rival Al Qaïda dans la course au terrorisme international, celui-ci refusant de se laisser distancer et réagissant par une prise d’otage de masse dans un hôtel à Bamako au Mali hier, et provoquant un carnage…
En effet, en l’espace d’un mois, l’Etat Islamique a semé la terreur dans une manifestation pro-kurde en Turquie (102 morts), a attaqué un avion russe et l’a fait exploser en vol provoquant la mort de 224 personnes, passagers et équipage, fait sauter une bombe dans un quartier chiite fief du Hezbollah à Beyrouth (43 morts). Les attentats de Paris complètent provisoirement ce tableau qui confirme la transformation de l’Etat Islamique en une organisation terroriste globale, épousant à sa manière les possibilités de la modernité : connectivité, opacité des flux financiers, disparition partielle des frontières, la crise des migrants apportant une nouvelle actualité à cette dernière donnée.
Le changement de stratégie s’est opéré, semble-t-il entre septembre et novembre 2014 : fin septembre 2014, un mois après le début des frappes de la coalition internationale, le porte-parole de l’Etat Islamique a appelé tous les sympathisants du Califat à frapper les pays membres de la coalition. En novembre, le groupe Ansar Beit Maqdis dans le Sinaï, suivi d’autres organisations djihadistes faisait allégeance au Califat Islamique. C’est à ce moment que l’Etat Islamique s’est « internationalisé »…
Il ne faut pas faire d’illusions. Les attentats de Paris ont été préparés avec minutie, c’est-à-dire de longue date. Il reste assurément des cellules dormantes ou pas. Dans les deux cas, elles ont préparé leurs missions, et n’attendent que les ordres pour les mettre à exécution. Les pays occidentaux ne sont donc pas près de retrouver la paix, et restent très vulnérables.
Il y a dans le monde nombre d’experts en terrorisme, dans le sens « expérimentés » du terme. Nombre d’entre eux se trouvent en Israël, pays qui lutte contre le terrorisme depuis sa création. Que disent-ils ? « L’Europe n’était pas préparé à ce type d’attaque » ! Voici ce que pense Gaby Ashkénazy ancien chef d’état-major de Tsahal. Il poursuit : « La France n’est pas seule à avoir refusé de regarder la réalité en face, même après les attentats de janvier. Daesh (L’Etat Islamique) n’a jamais caché ses objectifs et c’est ouvertement que l’organisation terroriste a promis de s’en prendre à la France».
Gaby Ashkénazy comme d’autres responsables actifs de la défense israélienne estime que Daesh a exploité les failles et les points faibles des régimes démocratiques européens qui de leur côté ont préféré continuer à croire que le conflit se limitait au Proche-Orient et ne les concernait pas directement.
Pour faire face à cette nouvelle réalité qu’il est désormais impossible d’occulter, la doctrine de défense telle que les israéliens la recommandent aujourd’hui à leurs alliés français et européens, repose sur trois piliers : frontières, renseignement et action préventives.
L’espace Shengen a vécu. La France et l’Europe, depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, ont voulu croire que les conflits de civilisation étaient révolus, et depuis la fin de l’ère soviétique, que leur frontières pouvaient s’ouvrir sans limitation, car la démocratie avait gagné et ne serait plus jamais menacée.
Le terrorisme islamique vient de s’engouffrer dans la brèche qu’il faut donc refermer.
Les Etats d’Europe vont devoir reprendre le contrôle de leur frontières, et en particulier avec la Turquie, recommande notamment le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon (lui-même ancien chef d’état-major de Tsahal).
Le renseignement doit être plus efficace. « Les Européens ont compris qu’il y avait un danger, mais les mesures qui auraient dû être prises ne l’ont pas été, comme par exemple une réforme de la législation permettant l’écoute des terroristes potentiels » estime encore Moshé Yaalon.
Sans tomber dans certains excès américains, il y a des dispositions qui peuvent améliorer le traitement et l’analyse des informations pour une utilisation optimale. Cela passe aussi par la coopération internationale, qu’Israël pratique déjà avec ses alliés européens, dont la France.
« Israël a des informations. Nous ne sommes pas exactement un acteur subalterne dans ce domaine. Les renseignements que nous obtenons, nous les partageons avec la France et avec d’autres Etats concernés ; et pas seulement depuis hier » a déclaré Benjamin Nethanyahou au lendemain des attentats du 13 novembre.
« Quand on est en guerre, il ne faut pas avoir peur de tuer, et il ne faut pas avoir peur d’être tué » rappelle encore le Général Ashkénazy. « On ne vainc pas la terreur depuis le ciel » estime-t-il encore, convaincu que les les frappes aériennes en Syrie ou en Irak ne seront pas la solution. « Daesh a des points de vulnérabilité, surtout s’il est attaqué sur terre ». Des actions contre le mouvement terroriste sur son terrain sont possibles ET nécessaires.
« En Europe, l’équilibre entre la sécurité et les droits de l’Homme penchait jusqu’à présent en faveur des droits de l’homme. Mais il n’y a plus le choix. Il faut faire pencher la balance du côté de la sécurité pour défendre la démocratie » affirme le ministre israélien de la défense qui espère que la France et l’Europe ont maintenant compris que « dans la lutte antiterroriste, nous sommes tous dans le même bateau ».
(source ActuJ)