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26 avril 2023 3 26 /04 /avril /2023 17:18
Eliette Abécassis. (Photo : Tous droits réservés. Crédit : Gérard Harte. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

Eliette Abécassis. (Photo : Tous droits réservés. Crédit : Gérard Harte. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

Si André Malraux disait que « La transmission est la clé de voûte de la civilisation », pour les Francs-Maçons, la raison d’être, c’est de transmettre un humanisme, des valeurs et un savoir. Il n’y a pas de Franc-Maçonnerie vivante sans transmission.

Toute l’architecture de la Franc-Maçonnerie est bâtie sur cela, par le biais de Tenues d’Instruction, de formations de toutes natures et à tous les niveaux, même les plus hauts.

La transmission, c’est le souci constant de la Maçonnerie de Tradition.

C’est pourquoi il est intéressant de signaler la parution en 2022 d’un nouveau livre d’Eliette Abécassis qui a précisément pour titre et pour thème, « La Transmission ».

Ecrivaine prolixe, elle explore dans son récit les chemins d’une transmission plusieurs fois millénaire, au travers de l’histoire de sa famille et plus particulièrement celle de son père. Celui-ci, Armand Abécassis, talmudiste réputé, professeur d’université, est lui aussi un écrivain très connu. C’est donc la Tradition et l’étude juive qui sert de véhicule à son interrogation et à ses réflexions sur le sujet qui nous intéresse.

Eliette Abécassis, n’est pas une écrivaine comme les autres.

Eliette Abécassis, c’est d’abord un visage. Bouleversant.

Eliette Abécassis, ce sont d’abord des yeux, de grands yeux, un regard qui scrute et interroge.

L’un d'eux, est un livre qui porte en lui toute l’histoire du Peuple juif, toutes ses interrogations, ses craintes, sa profondeur. Sa beauté aussi.

L'autre, en raconte l’histoire plusieurs fois millénaire…

Son père, Armand Abécassis, chef scout totémisé « Cèdre », c’est une intelligence vive, une interrogation permanente qui masque une exceptionnelle érudition, tant dans tous les domaines du judaïsme, que de la pensée universelle. Maître dans l’étude des textes bibliques, des commentateurs, du Talmud, des textes de la Kabbale, du Midrash, mais aussi de la philosophie, il est aussi très impliqué dans le dialogue judéo-chrétien dont il est l’un des principaux animateurs. Il emmène ainsi certains diocèses visiter Israël.

Le philosophe et talmudiste Armand Abécassis. (Photo : Tous droits réservés. Crédit : Éliette Abécassis. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

Le philosophe et talmudiste Armand Abécassis. (Photo : Tous droits réservés. Crédit : Éliette Abécassis. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

Sa Maman, Janine Abécassis, professeur de psychologie, psychanalyste, leur a donné des éclairages lumineux dans le domaine qui est le sien…

   (Photo : Tous droits réservés. Crédit : Eliette Abécassis. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

(Photo : Tous droits réservés. Crédit : Eliette Abécassis. Avec l’aimable autorisation de Madame Eliette Abécassis)

Les deux ont transmis à leurs enfants l’amour du dialogue.

Les trois sont « des allumeurs de réverbères », et n’ont de cesse non seulement de transmettre, mais aussi de suggérer des voies de pensée.

Les Abécassis, sont une famille de lettrés, d’amoureux des livres, de questionneurs, qui ne cessent d’interroger les textes.

De fait, beaucoup des livres publiés par Eliette Abécassis, ont pour trame la transmission et ce n’est pas la première fois qu’elle évoque son père qui manifestement est « l’homme de sa vie ».

« La Transmission », ouvrage plein de tact et de finesse de pensée, est une quête en même temps qu’une ode à son père – et à sa Maman dans une moindre mesure – dont elle loue chacune des actions de transmission qui jalonnent leur vie.

C’est aussi cela la preuve d’une transmission réussie…

Cela fait penser à une allusion faite dans la Bible. Pour les Francs-Maçons, la pierre est le principal vecteur de transmission symbolique. Chacun d’eux vient « tailler sa pierre ».

Or, en hébreu, la pierre se dit Even. Un mot qui s’écrit en trois lettres.  Si l’on prend la première et la deuxième lettres, le mot se prononce Av, ce qui veut dire « père »…

Si l’on prend encore la deuxième lettre, qui sert donc de lettre de jonction et la troisième lettre, le mot se prononcera Ben, ce qui veut dire « fils ». Ainsi se fait la transmission.

Armand Abécassis a transmis à sa fille le goût d’interroger les textes, de les remettre en question selon la méthode du Talmud du renouvellement de la pensée.

Armand n’est pas seulement le père d’Eliette, à n’en point douter, il est aussi son Maître, et elle veut que cela soit su.

Est-ce cela la transmission ?

La réponse se profile lorsqu’on prend en considération que dans cette famille d’intellectuels et de lettrés, où on aime le savoir et les livres, les enfants suivent les pas de leurs parents, particulièrement Eliette qui suit les pas de son père : Normalienne, agrégée de philosophie, elle enseigne à son tour et devient écrivain à succès.

 

Remettre en question sans jamais remettre en question…Car ce qui est vérité, est vérité à jamais. Ce qui change, c’est la compréhension, puisque le texte est en mouvement au fil du temps.

Cela permet aussi de percevoir les différences d’approche entre la méthode chrétienne qui considère la Bible comme étant les « Saintes Ecritures », c’est-à-dire comme un texte figé qui ne peut évoluer, et la vision juive du « Miqra », c’est-à-dire « La lecture ».

La lecture que nous avons au XXIème siècle, peut-elle être la même que celle du Moyen-Âge ou de l’Antiquité ?

Pourtant, les hébreux lisent et commentent toujours les mêmes textes. Et le font avec une méthodologie très particulière, incarnée par le Talmud…

Le récit biblique prête donc à l’interprétation, centrale dans le judaïsme. Le Talmud, lui, suggère qu’il n’y a pas de vérité. Les générations de savants qui y débattent, ont souvent des opinions différentes, et le Talmud ne tranche pas : chacun a - ses - raison(s).

Ainsi pense Armand – Amram en hébreu – qui porte le nom du père de Moïse, celui que tous les juifs appellent Moshé Rabbénou, « Moïse notre maître ».

Voici l’une de ces interrogations : « la question de la perpétuité d’un peuple par l’excellence de la transmission… On arrête la transmission, le Peuple s’arrête et disparaît de l’histoire. Ce que l’on transmet, ce n’est pas seulement une histoire, mais une mémoire. Pas une mémoire du passé, mais une mémoire du futur. C’est-à-dire, qu’est-ce que le peuple juif a apporté de plus au monde ? Pourquoi continue-t-il à vivre et à transcender l’histoire, pour quel projet, cela fait aussi partie de la transmission. Nous n’existons pas simplement parce que dans le passé nous avons fait, et transmis également, pas seulement aux juifs, mais parce que nous n’avons pas encore accomplis notre projet, pour nous ce projet qui est déposé dans la Bible. Ce récit biblique prête à l’interprétation, c’est ce qui est central dans le judaïsme. Il n’y a pas de vérité. Personne n’a la vérité. Vous rendez-vous compte ? Le premier qui aurait la vérité, quelle tyrannie il exercerait ! Non seulement parce qu’il serait violent en exerçant dans le sens physique ou politique, mais surtout psychologique et spirituel : les autres qui n’ont pas sa connaissance n’ont qu’à se taire et à recevoir de lui. C’est déjà une violence que considérer celui à qui l’on transmet comme passif. : on ne le fait pas participer à l’établissement et au développement, à la construction de cette transmission. La transmission, ce n’est pas un dépôt que l’on a et qu’on transmet tel quel ! Ça aussi c’est la paralysie de la religion...

Qu’est-ce qui se transmet, qu’est-ce qui ne peut pas se transmettre ?

La question essentielle de notre époque : la transmission. Le déferlement technologique donne le sentiment que l’on perd la transmission dans le sens traditionnel. »

A titre personnel, un très récent voyage en Egypte avec une remontée du Nil qui m’a permis de découvrir les importants monuments que sont les vestiges des Temples égyptiens, ainsi que la proximité d’une exposition à Paris consacrée au Pharaon Ramsès II (celui-là même réputé régner lors de la Sortie d’Egypte) ajoutés à la récente célébration de la Paque juive, qui précisément célèbre l’Exode, m’inspirent quelques réflexions sur notre sujet :

A propos de ce dernier, la Thora enjoint à Israël : « Veigadeta lebinha », « Tu raconteras à ton fils » (dans le sens élargi à tes enfants).

Ce commandement, l’un des fondements du judaïsme, pourrait aussi être le secret de sa longévité. Il a fait de chaque hébreu, de générations en générations, un témoin direct de la Sortie d’Egypte, mais surtout il a permis une constante transmission, tandis qu’autour de lui, celle-ci s’amenuisait jusqu’à parfois disparaître.

En Egypte, des centaines de milliers de touristes ont visité les temples colossaux construits par Ramsès II, Louxor, l’ancienne Thèbes, capitale de l’Egypte d’alors, Karnak, Abou Simbel, toujours là, presque intacts, défiant extraordinairement le temps par leur majesté.

On voit des temples extraordinaires, majestueux, colossaux.

Mais en fait, ce sont mes ancêtres esclaves hébreux qui, selon le récit de la Thora, ont construit Pitom et Ramsès, villes édifiées sur l’ordre du Pharaon en son propre honneur.

Les enfants d'Israël esclaves en Egypte.

Les enfants d'Israël esclaves en Egypte.

Et je me suis soudain demandé à quoi ressemblerait, si nous le pouvions, un retour dans le passé pour rencontrer Ramsès II. Et, comme le fait Rav Saks, je me suis imaginé le dialogue suivant : « Ô puissant Ramsès, je suis un visiteur de 3300 ans dans le futur, et j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi. ». Frappé de curiosité, il dirait : « Quelle est la bonne nouvelle ? » Réponse : Une civilisation qui existe maintenant, sera toujours vivante et solide dans trente-trois siècles. « Quelle est la mauvaise nouvelle ? » demanderait-il. La mauvaise nouvelle c’est que ce ne sera pas toi. « Mais alors qui ? » demanderait-il.

Tu vois peut-être au loin ces esclaves en train de construire tes monuments, ces gens que tu appelles les hébreux, eux vont survivre et tout ce en quoi ils croient tiendra bon dans 33 siècles. Cela sonnerait comme le délire d’un fou : Ramsès II était le plus grand dirigeant de l’empire le plus durable et le plus puissant du monde antique. Il toisait le monde tel un colosse. Et les hébreux étaient les plus faibles et les plus impuissants de tous les esclaves, sans liberté, sans sécurité, sans droits, sans dignité. Qui plus est, nous connaissons l’opinion des égyptiens de l’antiquité à leur sujet, car la plus ancienne référence aux hébreux en dehors de la Bible, figure sur une tablette de pierre gravée au temps de son successeur, le pharaon Méreptah, avec les mots suivants : « Israël est dévasté, sa semence n’est plus ». Les Egyptiens de l’Antiquité pensaient que les israélites étaient anéantis : Comment alors a-t-il été possible que ce peuple minuscule parvienne à survivre tandis que le puissant empire de Ramsès II est entré en déclin, et a très vite disparu des pages de l’histoire ? Il y a une réponse : L’Egypte antique et l’Israël antique sont deux civilisations qui ont posé la question la plus profonde que l’on puisse poser : Comment dans ce laps de temps trop court, limité, éphémère, que nous appelons la vie, pouvons-nous atteindre l’immortalité ?

Les égyptiens ont donné une réponse : Nous atteignons l’immortalité en édifiant des monuments de pierre qui survivent aux sables et au vents du temps.

En un sens ils avaient raison : les monuments sont toujours là, mais la civilisation qui les a édifiés, et les valeurs sur lesquelles elle reposait, ont disparu depuis longtemps.

Mais l’Israël de l’Antiquité, dit : pour devenir immortel, tu n’as pas à construire des monuments de pierre, tout ce que tu as à faire, est de graver tes valeurs dans le cœur de tes enfants, et tes enfants dans le cœur de leurs enfants, et ainsi tout au long des siècles.

Les juifs ont construit des monuments vivants, et comment ? En transmettant leur histoire à la génération suivante. C’est cela qui est fait à Pessah, la Pâques juive. Nous donnons à la génération suivante, en cadeau, l’histoire juive.  Et ce simple rituel s’est révélé plus durable que les empires les plus puissants avec leurs plus grands monuments.

Voici ce qui fait la perpétuation du Peuple le plus phénoménal et le plus ancien de la terre :

La transmission. C’est le vecteur de l’immortalité.

Bien évidemment, nul besoin de passer par l’histoire du peuple juif pour s’interroger et surtout assurer la transmission. Elle est choisie ici, parce que ce livre permet de s’interroger sur ses mécanismes, sur sa pratique au quotidien, sur un angle qui permet d’appréhender la vie dans sa mission de transmission, avec une expérience réussie : Des grandes civilisations qui ont évoluées depuis l’Antiquité, le peuple juif n’est-il pas le seul à être toujours-là, plus rayonnant que jamais ?

Emmanuel Serval

La Transmission, d’Eliette Abécassis. Récit (Robert Laffont, 248 pages, 19 €).

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commentaires

C
Merci Emmanuel de nous faire partager le livre d'Eliette Abécassis que j'apprécie tout particulièrement.<br /> Je me permettrai d'ajouter que transmission et tradition sont intimement liés. L'un ne va pas sans l'autre.<br /> Que par ailleurs, la transmission est à l'origine essentiellement orale et non écrite, tant en maçonnerie où les rituels des Rites dits d'oralité, n'ont été écrits que très tardivement. Mais aussi la tradition la plus ancienne et fondamentale des religions monothéistes, la Torah, les cinq premiers livres de la Bible, qui fut révélée à Moïse et a Aaron durant les 40 jours et les 40 nuits qu'ils passèrent sur le Mont Sinaï pour y recevoir à nouveau les tables de la Loi, Torah qui fut écrite ensuite et sans doute pas par Moïse, en tous cas dans son intégralité, puisqu'il ne put que contempler le pays de Canaan et comme son Frère Aaron, le Grand Prêtre et mourût comme lui avant d'y rentrer, comme l'Eternel leur avait annoncé.
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F
Merci de ces remarques et de cet apport judicieux.<br /> Effectivement, longtemps la transmission fut orale, de vieilles bouches à jeunes oreilles.<br /> Je l’ai moi-même vécu enfant, lorsque mon premier Maître, un Hassid de Djekov, venu à pied de Pologne, qui connaissait toute la Thora par cœur avec les commentaires de Rashi, ainsi que le Talmud, pouvant indiquer à quelle page se trouve chaque mot, m’a appris mes premiers versets, en commençant par « Leh Leha », la troisième section de lecture de la Genèse (12 :1)… « Va pour toi hors de ta terre, de ton pays natal et de la maison de ton père, vers la terre que Je te montrerai ».<br /> Je me souviens que, lorsque j’ai fait autrefois mon Alyah, je lui ai téléphoné d’Orly, pour lui dire que son enseignement me marquait particulièrement dans mes choix…<br /> C’est aussi dans cette section hebdomadaire de lecture que se trouve une phrase du Grand Architecte qui dit à Abram (il n’est pas encore Avraham): « Je bénirai ceux qui te béniront, et qui t'outragera je le maudirai; par toi seront bénies toutes les familles de la terre ».<br /> Il me semble, si mes souvenirs ne m’abusent pas, que Moshé Rabbenou, Moïse, a reçu la Révélation du Sinaï seul, sans son frère Aaaron Hacohen…Celui-ci n’est pas monté sur le Sinaï.<br /> Pour en revenir à notre sujet, comme tu le suggère, ce qui est important, c'est d'avoir quelque chose à transmettre, des valeurs à transmettre, une vraie morale participant au raffinement de l'homme et, accessoirement, savoir comment le transmettre.

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  • : Le Myosotis du Dauphiné Savoie - Le Blog des Fidèles d'Amour -
  • : Tribune créée dans un premier temps pour véhiculer un combat en faveur de valeurs éthiques et morales au sein de la Franc-Maçonnerie de Tradition. Désormais, ayant contribué au succès de cet objectif, elle se consacre à la défense de celles-ci. Par ailleurs, seront présentés des articles reflétant études, lectures, engagements, et sympathies.
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Référence et remerciements:

 

Par arrêt en date du 20 mai 2015, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 6 mai 2014 par la chambre de la presse du tribunal de grande instance qui m'a déclaré coupable de diffamation publique envers François Stifani et Sébastien Dulac, à raison de la diffusion d’un message diffusé le 22 septembre 2010 sur le blog le myosotis-dauphine.savoie.over-blog.com. Je considère cet évènement comme l'attribution d'une Légion d'Honneur.

Merci aux soeurs et frères très nombreux qui m'ont soutenu dans ce combat de cinq années dont je m'honore, et dont je ne regrette rien.

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